Je viens de finir la série Jinn , la première série originale Netflix en arabe. Ce n’était pas très prenant puisqu’elle ne comptait que cinq épisodes de moins de trente minutes. Pourtant, c’était difficile de tenir jusqu’au bout. La faute à leur communication gargantuesque qui nous promettait monts et merveilles, aux multiples ajournements, aux rumeurs sur la débauche des moyens et sur le budget colossal de la production.
On s’attendait à la huitième merveille du monde, qui de plus est de sang arabe. Que nous a-t-on servi? Une sorte de version revisitée des séries américaines mais sans réellement parvenir à se détacher du modèle ou à rendre compte d’une alternative culturelle d’ascendance arabo-musulmane. Ce n’est pas mieux au final que les feuilletons turcs doublés en tunisien.
Pourtant, ce n’est pas une question de moyens, les lumières sont belles, les mouvements de caméra variés et subtils, les plans de drones à tout va, les effets spéciaux crédibles et l’étalonnage domptant à merveille la lumière insolente du Sahara.
Les codes Netflix ont été respectés, et l’on reconnaît les séquences de traveling à contre-plongée, le parti pris adolescent impliquant de la rebellion, l’image d’un monde qui change et auxquels les jeunôts sont mieux outillés, et la prévalence des allusions au sexe et au libertinage. Ceci dit, le portage fonctionne moins bien. Pour épouser l’insolence maîtrisée des séries Netflix, on bourre le dialogue du terme « 5ara », et on décline de manière caricaturale les cliques des séries américaines avec le beau gosse, l’illuminé maigrichon en mal de confiance, le modèle de jeune femme forte, les vrais amis de longue date qu’on est tenté de quitter mais qui finissent par s’imposer comme une valeur sûre. Ces lieux communs dérangent moins dans les séries ado américaines parce qu’ils en constituent le marqueur et l’ADN. La perfusion dans Jinn est forcée et contre-nature, et la greffe ne prend pas et ne convainc à aucun moment.
Ce qui aurait pu sauver la série, au delà de son positionnement trouble, c’est son intrigue et la maîtrise de son récit. Or, c’est là que réside sa plus grande faiblesse: le scénario. Les dialogues sont à la limite du risible, étirés et vides sans contribuer à installer de nouveaux éléments ni par rapport à l’action ni en référence à la complexité des personnages. Des personnages mous, servis par un casting moyen au jeu hésitant, qu’on n’a pas le sentiment de mieux connaître au fur et à mesure des épisodes. On ne nous donne pas assez d’arguments pour s’y attacher. Jinn a le malheur aussi de sortir la même semaine que « Stranger things » et elle n’échappe pas à la comparaison, puisque les histoires sont assez ressemblantes et ciblent un même public.
Troisième saison d’une série ado ou adulescente et pas le signe d’un essoufflement, alors que le fond de l’histoire est même plus abracadabrant que la série arabe. Ils n’ont ni les légendes ni le cadre exceptionnel du site de Petra. Mais comme à l’accoutumée la jeunesse de l’Amérique ne l’a jamais complexée, elle invente ses légendes urbaines et crée sa culture de toutes pièces. En installant les événements dans les années 80 bien kitsch et colorées, ils arrivent à infuser tous les plans d’une empreinte culturelle forte et presque touchante. La nostalgie enjolive ces clichés d’une époque pas si grandiose que cela et maintenant bien révolue.
Les cheveux bouclés, les chemises à motifs, les walkmans, les voitures aux formes rêveuses sinon prétentieuses, la rupture avec le passé accompagnant la vague libertaire, et même des renvois aux films cultes de l’époque à la sauce Spielberg; tout est là, sans déranger le récit ou empêcher l’auteur d’installer « des histoires dans l’histoire », le combat de la journaliste en herbe pour retrouver sa confiance en soi, le chef de police célibataire et seul qui se force à croire à nouveau à l’amour, la découverte du sexe et ce que cela implique dans les comportements de groupe chez les adolescents, et j’en passe. Rien de tout cela dans Jinn, à la limite la difficulté du deuil de sa mère pour l’héroïne, servie à la louche et à contre-temps tout au long de la série.
Ma grand-mère avait cette expression cynique mais pertinente, quand quelqu’un avait tous les traits de la beauté sans y parvenir, que la beauté se foutait de sa gueule. C’est le sentiment que j’ai eu malheureusement tout au long du visionnage de Jinn. On ne parvient jamais à l’équilibre, et même les beaux plans survolant Petra qu’on ne perd pas une excuse pour les insérer, ne parviennent pas à extirper la série du ras du sol.
Jinn réussit à être au moins fidèle à son nom, transparente au point de l’inexistence, et toute puissante mais incapable de nous toucher. On est heureusement de mondes différents.