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Alors que la presse française a insisté sur les droits de l’homme, les médias égyptiens ont plutôt loué les liens économiques renforcés.
« Le président égyptien al-Sissi en France : les droits de l’homme en berne », « plusieurs ONG dénoncent le tapis rouge de la France au président Sissi », « Macron attendu au tournant des Droits de l’homme » : pour la presse française, la question des libertés individuelles en Égypte a été l’enjeu principal de la rencontre entre les chefs d’État français et égyptien. Depuis la prise de pouvoir du président al-Sissi en 2014, la censure et les délits d’opinion ont enregistré une forte inflation dans les statistiques du pays. « L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi est dans l’histoire de l’Égypte moderne » celle de « la répression la plus importante que l’on n’ait jamais vue », a d’ailleurs estimé sur France InfoAntoine Madelin, directeur du plaidoyer à la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
Les droits de l’Homme en débats
Il s’agit là d’un constat que l’on ne trouve pas mis en exergue du côté des journaux et sites d’informations égyptiens couvrant l’événement. La plupart ont choisi de relayer les propos du président sur le sujet à l’issue du point presse de ce lundi 7 décembre. Le site d’informations Al Youm al Sabi nous apprend par exemple que « le président Abdel Fattah al-Sissi a renouvelé la volonté de l’État égyptien de promouvoir les droits de l’homme », et « cherche à atteindre un équilibre entre le maintien de la sécurité et de la stabilité d’une part, et la protection des droits de l’homme d’autre part. Il est de ma responsabilité de protéger 100 millions d’Égyptiens ».
Et d’ajouter : « Il n’est pas juste de présenter l’Égypte comme un pays avec des dirigeants tyranniques ou féroces, et il n’est pas juste de présenter le régime égyptien comme un régime autoritaire », peut-on lire sur Shourouk News, un des seuls médias qui propose un éditorial à ce sujet. Le quotidien relaie l’opinion du journaliste et écrivain Imad al-Din Hussein, lequel craint que « les relations de l’Égypte avec l’Amérique et l’Europe n’en soient réduites qu’à la question des droits de l’homme ».
« Y a-t-il un problème avec les droits de l’homme en Égypte ? La réponse est définitivement oui […] Certains pays étrangers exploitent-ils ce problème à des fins politiques ? La réponse est un oui catégorique », poursuit-il. Pour le journaliste, si « la question des droits de l’homme est devenue une arme diplomatique utilisée par de nombreux pays […], nous devons admettre que nous leur donnons régulièrement l’occasion de s’offenser ». « Nous devons repenser ce sujet et la manière dont il est traité afin qu’il ne balaie pas tout ce qui a été accompli sur le terrain, et qu’il ne se transforme pas en une épée de Damoclès au-dessus de l’Égypte », avance-t-il.
L’accent sur les liens économiques « renforcés »…
Le quotidien d’information Al Ahram choisit, lui, de mettre en lumière « les relations franco-égyptiennes étroites », décrites par le porte-parole de la présidence égyptienne Bassam Rady. « Emmanuel Macron a donné son accord au président Sissi pour signer aujourd’hui un certain nombre d’accords et de mémorandums de coopération », affirme d’ailleurs le journal. Selon l’article, la visite a d’abord pour objectif le « renforcement des relations bilatérales, en particulier dans les domaines de l’investissement et du commerce ».
Ces liens, « d’une nature particulière », vieux de « deux siècles », et « fondés sur le respect mutuel » connaissent « un rapprochement remarquable depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi », affirme Al Ahram, qui a comptabilisé pas moins de « 20 visites officielles entre les deux pays depuis 2014 », un chiffre qui englobe celles des présidents, des ministres et des hauts fonctionnaires. « Toutes reflètent une convergence de points de vue sur les questions bilatérales », avance le journal. Ce 7 décembre, c’est « l’accroissement des échanges commerciaux entre les deux pays, en donnant la possibilité à davantage d’exportations égyptiennes de pénétrer le marché français » qui a été au cœur des échanges, selon le média.
… et sur le fort potentiel d’investissements
Selon Bassam Radi, « la France est impatiente d’exploiter les opportunités d’investissement disponibles en Égypte », peut-on lire dans un article de Al Masry Al Youm, qui indique également que, toujours selon le porte-parole, « l’économie égyptienne avait atteint un taux de croissance de 3,6 %, le plus élevé de la région et d’Afrique, en pleine pandémie ». Une performance « saluée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui a encouragé le monde et la France à faire confiance à l’Égypte ».
« Des réformes lancées par le gouvernement égyptien pour améliorer l’environnement législatif […] et le climat des affaires dans le pays, ainsi que les opportunités prometteuses offertes par les grands projets nationaux » devraient, d’après les propos du président al-Sissi relayés par le site d’informations, booster les investissements français.
Une coopération économique qui comprend également un volet militaire, puisqu’« avec 1,4 milliard d’euros de recettes en 2017, la France devance, désormais, les États-Unis en matière de ventes d’armes à l’Égypte », nous rappelle Daily News Egypt. Mais depuis novembre, lorsqu’Emmanuel Macron a défendu les caricatures du prophète Mohamed, les contrats sont « moins nombreux », assure Egypt Independant : « Des négociations sur l’achat de chasseurs Rafale et de navires de guerre qui étaient à un stade avancé ont en effet fortement ralenti. »
« Des points de vue convergents » sur la Libye et le Liban
Sur la situation en Libye en revanche, pas de divergence de points de vue entre Emmanuel Macron et Abdel Fattah al-Sissi. Les deux chefs d’État défendent une « solution politique », et soutiennent « les institutions de l’État et l’armée nationale libyenne pour lutter contre le terrorisme et les milices armées », écrit Al Ahram en précisant que tous deux « s’engagent sur la voie du dialogue sous les auspices de l’ONU ». La France et l’Égypte s’entendent aussi sur un point : « la dénonciation de l’ingérence étrangère illégale dans les affaires libyennes ». Autrement dit sur le rôle et les initiatives de la Turquie dans le conflit. « La France a des intérêts fondamentaux en Libye et considère la Turquie comme une source de menace pour elle, explique un chercheur du Centre égyptien de réflexion et d’études stratégiques sur la chaîne égyptienne DMC. Elle cherche donc à sanctionner le pays. »
Avec l’Égypte d’al-Sissi, adversaire revendiqué de Recep Tayyip Erdogan, Paris s’est donc trouvé un solide allié dans le dossier libyen. « Le président français a salué la Déclaration du Caire, […] véritable solution à la crise libyenne », précise d’ailleurs Al Ahram. Au-delà de la Libye, Abdel Fattah al-Sissi a également évoqué avec le président français « les différentes crises régionales », de l’Irak à la Syrie en passant par le Liban, pays pour lequel les deux chefs d’État ont participé le 8 septembre dernier à la Conférence internationale de soutien, et où chacun a plaidé pour « une rapide sortie de crise ». Un plaidoyer commun, que les ONG et défenseurs des libertés souhaiteraient désormais voir s’appliquer aux droits de l’homme.
EFM/AFP
Written by: Manel gharbi