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Amendement du statut de la BCT: qu’en pensent les experts économiques?

today31/01/2024 27

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L’amendement du statut de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ne cesse de créer la polémique. Les experts sont unanimes sur les risques d’une telle mesure, notamment sur l’inflation et la valeur du dinar. Cependant, certains estiment que ledit amendement peut être bénéfique, à condition de bien orienter les crédit octroyés par l’Etat de la BCT.

Dans ce cadre, Ridha Chkoundali, a affirmé, au micro d’Ecomag, ce lundi 29 janvier 2024, qu’il y a une crainte que les crédits qui seront accordés par la BCT à l’Etat, si l’amendement du statut de la BCT sera validé à l’ARP, ne seront pas destinés à des projets productifs.

Oui, mais…

En revanche, il a indiqué que si les prêts généreront une croissance économique, en étant orientés vers des secteurs productifs ou qu’ils incitent les investissements privés pour réaliser cette croissance, alors « il n’y a pas de soucis ». Il a expliqué que dans ce cas, les crédits accordés par la BCT à l’Etat « contribueront à lutter contre l’inflation ».

Ridha Chkoundali a estimé que cet amendement peut apporter une valeur ajoutée à la Tunisie, si les crédits accordés par la BCT à l’Etat ne seront pas destinés à financer les dépenses de consommation de l’État : « ces crédits doivent être exclusivement orientés vers les dépenses productives de l’Etat, à savoir les dépenses de développement ».

Dans ce cadre, il a précisé que l’État ne représente plus un élément moteur de la croissance économique et d’appui aux investissements privés : « la part des dépenses de développement dans le budget de l’Etat est passée de 13,8% en 2010 à 3,8% en 2024. L’Etat n’arrive plus à jouer son rôle en termes de croissance ».

Ridha Chkoundali a également affirmé que les montants des crédits doivent être prédéfinis, en concertations entre le gouvernement et la BCT dans le cadre d’un policy mix (une dualité de la politique économique entre le gouvernement et la banque centrale).

Cette dualité économique remplacera la politique monétaire, dont est chargé la BCT et la politique fiscale, dont est chargé l’Etat par une seule politique fixée par les deux entités.

Pour Chkoundali, il est nécessaire de procéder à deux changements législatifs pour faire réussir ce modèle : le premier au niveau du statut de la BCT et le second au niveau des lois de finances.

Pour ce qui est du statut de la BCT, Chkoundali a affirmé qu’il faut lui ajouter un second objectif à part lutter contre l’inflation, qui est le développement économique.

« La BCT doit devenir une partie prenante de la politique économique du pays et donner son avis. De l’autre côté, l’Etat doit aussi intervenir dans les grandes lignes de la politique monétaire du pays », a-t-il dit.

Concernant la LF, il a indiqué qu’il faut instaurer le principe de non spécialité, afin « d’obliger l’Etat à orienter les crédits de la BCT exclusivement aux dépenses de développement ».

Il a fait savoir que « si on arrive à mettre en place ces changement, la question de l’indépendance de la banque centrale n’aura plus lieu d’être ». Le plus important pour Chkoubndali, ce n’est pas l’indépendance de la BCT, mais plutôt « son efficacité ».

Bonjour l’inflation !

Par ailleurs, Ennaifer est revenu sur l’amendement du statut de la BCT. Il a expliqué qu’il ne s’agit pas d’un « vrai amendement », mais d’une « opération de financement exceptionnelle de 7 milliards de dinars, remboursés sur 10 ans ». Il a expliqué que l’Etat continuera donc à emprunter des banques comme c’est le cas aujourd’hui.

Il a également mis l’accent sur l’impact de cette mesure, notamment sur l’augmentation de l’inflation. Dans ce cadre, il a expliqué que la monnaie scripturale a chuté de 280 MD lors des 11 premiers mois de 2023 : « le financement de l’économie a donc chuté (destruction de crédit) puisque c’est le secteur des services qui s’accapare la part de lions des crédits ». En revanche, la monnaie fiduciaire a haussé de 722 MD.

Dans ce cadre, Ennaifer a expliqué qu’avec l’amendement du statut de la BCT, la monnaie scripturale augmentera, engendrant de la monnaie fiduciaire : « ceci n’aidera pas à diminuer l’inflation et sera un danger sur le dinar ».

Il a précisé que la BCT aura également du mal à diminuer les taux d’intérêt. Par conséquence, « nous continuerons dans le même cycle de financement, avec plus des difficultés d’accès au financement pour les entreprises et pour les personnes physiques ».

Limiter les dégâts reste possible selon Ennaifer, à condition d’utiliser cet argent pour payer les fournisseurs locaux de l’Etat ou les bons de trésors. Il a estimé que dans ce cas, cet amendement « améliorera la liquidité du secteur bancaire ».

Il a par ailleurs affirmé qu’il « ne faut surtout pas utiliser les crédits de la BCT pour payer les salaires ».

Instabilité économique et monétaire

l’universitaire au Canada, Moktar Lamari a affirmé que la Tunisie opte pour la planche à billets pour payer sa dette et rééquilibrer son déficit, au lieu de réduire la taille de la fonction publique et réduire le gaspillage.

commentant le projet de loi, soumis à l’ARP et autorisant la Banque Centrale de Tunisie (BCT), de présenter des avances au trésor public, il a estimé que cette mesure est « la plus grave et la plus dangereuse décision ».

A noter que le Conseil des Ministres avait approuvé, le 25 janvier courant, une loi sur l’approbation d’une autorisation permettant à la BCT d’accorder des facilités à la Trésorerie générale de Tunisie.

Cette mesure aura, à son avis, plusieurs impacts négatifs sur l’économie et surtout sur « la perception de confiance envers l’Etat et envers ses instituions, en tant qu’un État qui favorise ses dépenses actuelles en consommation et en salaires en faisant payer des générations futures, la dette et la détérioration des services publics futurs ». « Cette situation est connue sous l’appellation de « l’équivalence de Ricardo ».

Le deuxième impact concerne l’inflation, puisque « quand la planche à billet finance les gaspillages publics, la masse monétaire va gonfler plus vite et plus intensément que la masse des biens produits. Il faudra donc plus de billet pour acheter le même bien. Et afin de faire face à l’inflation, on optera à l’augmentation du taux d’intérêt directeur, ce qui accélérera encore l’inflation, en plus de pénaliser l’investissement privé et public », a affirmé l’universitaire.

Par conséquent, la valeur du dinar risquera de se détériorer vis-à-vis aux principales devises internationales « de manière insidieuse et latente, mais durablement. Le dinar sera malmené et le pouvoir d’achat des citoyens avec », selon Lamari.

Il s’agit également de l’impact sur l’investissement. « Déjà en repli, cet agrégé économique va s’étioler davantage. Et ce qui reste des investissements publics et priver va s’orienter vers des projets de courts termes et plus spéculatifs », estime Lamari.

D’après lui, « le contexte ambiant négligera encore les investissements dans les infrastructures durables et exigeant une patiente avant de rentrer en production. Le taux d’actualisation des investissements public montera au-delà de 15%, celui de l’investissement privé frôlera les 19%. Cette hausse est expliquée notamment par la prime de risque ».

L’universitaire a évoqué, en outre, le risque de « maintien d’une situation de stagflation durable (une croissance très faible accompagné d’une inflation forte), ce qui ne permet aucunement de créer massivement de l’emploi additionnel pour les 700000 chômeurs en attente d’emplois depuis des années ».

Il a mis l’accent, aussi, sur les risques d’instabilité sur divers fronts économiques et monétaires, estimant que « les opérateurs économiques vont préférer détenir leurs épargnes en devises fortes, et attendre l’émergence d’une stratégie économique plus cohérente et plus rassurante pour l’investissement ».

L’amendement doit porter sur la modification des objectifs de la BCT

De son côté, l’économiste Aram Belhadj, a affirmé, dans une déclaration à l’agence TAP, que ce projet de loi vise uniquement à faciliter l’accès du gouvernement à la liquidité de la Banque, afin de financer le déficit budgétaire de l’Etat, ce qui pourra entrainer « des risques inflationnistes et de dérapage, ainsi que retarder la mise en place des réformes indispensables pour les finances publiques ».

Toutefois, l’économiste estime qu’il est temps de revoir le statut de la BCT, mais « dans le cadre d’une nouvelle approche globale, laquelle consiste à redonner un rôle plus important à la BCT dans tout ce qui rapporte à la croissance et au développement, pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle ».

Ainsi, il a souligné que l’amendement doit porter sur la modification des objectifs de la BCT, afin de l’impliquer davantage dans les efforts de développement du pays, et la révision d’un nombre de prérogatives relatifs à la gouvernance et la transparence, afin d’instaurer un système financier transparent.

« En parallèle, plusieurs réformes devraient être mises en place, dans les plus brefs délais, surtout au niveau du système fiscal, la compensation, la gestion des entreprises publiques…, et ce, afin de surmonter les difficultés financières et rétablir les finances publiques », a-t-il encore noté.

Le projet de Loi soumis à l’ARP prévoit, pour rappel, d’approuver une autorisation exceptionnelle à la BCT en vue qu’elle puisse accorder des facilités au Trésor public d’une valeur de 7 milliards de dinars, remboursable sur une période de 10 ans sans intérêts, et avec une période de grâce de trois ans. Cette enveloppe servira à financer une partie du déficit budgétaire au titre de l’exercice 2024.

Il ne s’agit pas d’une première

De son côté, le vice-président de la Commission des finances, Abdeljelil Heni, a expliqué que ce n’est pas la première fois que le gouvernement a recours à de telles opérations.

Il a affirmé que le gouvernement eu recours au financement direct du trésor par la Banque centrale en 2020, précisant que de nombreux pays ont utilisé cette mesure en cas de besoin.

La Commission des finances reçoit, aujourd’hui mercredi, la ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque centrale pour donner leurs avis concernant la question.

Le projet de loi, soumis à l’ARP, autorisant la Banque Centrale de Tunisie (BCT), de présenter des avances au trésor public

Written by: Meher Kacem



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