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Le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali, a proposé, mercredi, à l’ARP, d’amender la « loi n° 2016-35 du 25 avril 2016, portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie » (BCT) dans le sens de lui attribuer la mission de contribuer à la réalisation de la croissance économique, outre sa principale mission relative à la maîtrise de l’inflation.
Prenant part à une journée d’étude organisée par l’ARP sur le thème « L’indépendance de la Banque centrale et sa politique monétaire ont-elles permis de lutter contre l’inflation et de booster la croissance économique ? », l’universitaire a préconisé de donner à la BCT la possibilité de prêter directement à l’Etat, à condition que les prêts en question soient orientés vers le financement de l’investissement et du développement et la création de richesse et d’emplois.
Il a insisté sur le fait que les montants prêtés par la BCT à l’Etat doivent être limités, soulignant l’importance d’une meilleure synergie entre le gouvernement et l’institut d’émission pour pouvoir stopper la crise économique que traverse le pays.
Chkoundali a aussi souligné l’importance de combler le vide législatif dans le sens d’une meilleure harmonie entre le Statut de la Banque centrale et la Constitution du 25 juillet 2022 qui n’a pas abordé le sujet de la BCT. « Il est inconcevable que la BCT continue à être gérée conformément à la Constitution de janvier 2014 », a-t-il fait remarquer, appelant les députés à amender le Statut de la banque sur ce point.
Recours abusif à l’augmentation du taux directeur
L’universitaire a par ailleurs critiqué le recours excessif de la BCT à augmenter le taux directeur pour contenir l’inflation, précisant que ce taux a été augmenté 11 fois et abaissé 5 fois depuis 2011 dans l’objectif de contenir l’inflation.
Chiffres à l’appui, l’économiste a indiqué que « la BCT a échoué à maîtriser l’inflation, rappelant que le taux directeur a été relevé de 25 points de base en avril 2017, alors que l’inflation était de l’ordre de 5%, avant que cette dernière n’atteigne 7,8% un an plus tard ».
« En mai 2018, la BCT a encore une fois augmenté son taux directeur de 25 points de base alors que l’inflation était de 4,8% avant de grimper à 6,8% un an plus tard ».
Et de poursuivre « selon la BCT, les résultats escomptés d’une augmentation du taux directeur sont généralement, visibles trois trimestres (9 mois) après la date d’augmentation, sauf que dans la réalité c’est l’inverse qui se reproduit ».
«La BCT a donc abusé du recours au relèvement du taux directeur, ce qui a contribué à briser la confiance des investisseurs qui cherchent toujours une stabilité fiscale et monétaire. Elle n’a toutefois pas réussi à maîtriser l’inflation ayant atteint des niveaux élevés ces derniers temps ( 9% en septembre 2023) » a-t-il déploré.
Abordant la question de l’indépendance de la BCT, l’universitaire a souligné que l’indépendance signifie la séparation totale entre la Banque et l’autorité économique représentée par le gouvernement, sauf que dans la pratique, cette séparation n’existe pas; la BCT étant de par son statut, le conseiller financier du gouvernement.
Et d’expliquer « l’indépendance de l’institut d’émission de point de vue économique signifie que la BCT a la liberté de gérer la politique monétaire selon les objectifs fixés par son statut, afin de combattre l’inflation. Laquelle indépendance est nécessaire pour pouvoir contenir l’inflation loin des tractations politiques et des fins électorales ».
Chkoundali a estimé que la réticence de la BCT a prêter directement à l’Etat a contraint ce dernier à s’endetter auprès des banques commerciales locales, à travers les bons de trésors et des taux d’intérêt très élevés. Les banques ont ainsi manqué à leur rôle de financer l’économie, tout en réalisant d’énormes bénéfices par les prêts à l’Etat ».
Selon lui « l’économie monétaire doit être au service de l’économie réelle afin de favoriser l’investissement et financer les entreprises. Les augmentations répétitives du taux directeur a bloqué l’activité économique et compromis la politique économique du gouvernement ».
Réagissant à son intervention, les députés ont considéré que « le Statut de la BCT a été conçu sur mesure et que les gouvernements et les parlements précédents ont soutenu l’indépendance de l’institut d’émission sans se soucier des répercussions possibles de cette indépendance ».
Ils ont fustigé le fait que les prêts à l’Etat soient monopolisés par les banques commerciales au détriment du financement des secteurs agricole, immobilier et autres, alors que la BCT aurait pu prêter à l’Etat à des taux raisonnables, si la loi le permettait.
Ils ont plaidé pour la révision du statut de la BCT dans le sens d’une meilleure cohérence entre l’indépendance de la Banque et la politique économique du pays, affirmant que l’Etat doit également, contribuer à combattre l’inflation qui n’est pas du seul ressort de la Banque centrale.
S’opposant à cette idée, l’un des députés a déclaré que l’endettement direct de l’Etat auprès de la BCT fera exploser les taux d’inflation, appelant à faire preuve de sagesse en abordant la question de l’indépendance de la BCT.
D’autres députés ont axé leurs interventions sur le rôle important que joue la BCT dans l’encouragement de l’investissement, considérant que le recours à l’augmentation du taux directeur pour limiter l’inflation impacte négativement, l’investissement et l’initiative privée en favorisant une montée des coûts des crédits bancaires.
Ils ont souligné l’impératif de procéder à une évaluation du statut de la BCT, sept ans après sa promulgation, considérant que cette évaluation doit être objective et adossée à des analyses économiques et financières.
Ils ont appelé à accélérer la mise en place d’une cellule de réflexion au sein de l’ARP pour élaborer un projet d’amendement du statut de l’institut d’émission.
TAP
Written by: Yosra Gaaloul