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Après la profonde récession en 2020, consécutive à la crise Covid, l’activité nationale n’a guère rebondi comme presque partout ailleurs. Après avoir chuté de -8,7% en 2020, le PIB a progressé de 3,1% en 2021 et devrait ralentir cette année à 2,4%. Une croissance qui est encore loin permettre au PIB tunisien de retrouver son niveau des années 2018-2019. En effet, le PIB tunisien devrait s’établir à 94,3 milliards de dinars constants (MMDT) cette année soit, bien moins que les 95,3 MMDT de l’année 2018 ou les 96,8 MMDT de l’année pré-Covid 2019.
Conséquence mécanique de cette croissance anémique et d’une population qui a dépassé pour la première fois cette année, les 12 millions d’habitants, le Tunisien devrait se contenter en 2022 d’un niveau de vie matériel (apprécié par le ratio : PIB par habitant) inférieur à celui dont il disposait il y a une dizaine d’années. En effet, selon les données de l’INS, le PIB par habitant devrait s’établir cette année à 7834 dinars (constants de 2015) contre 7925 dinars en 2013. Un niveau de revenu moyen quasi équivalent à celui de l’année pré-révolution 2010 : 7823 dinars constants de 2015.
En fait, le Tunisien a continué de s’appauvrir en 2022. C’est ce qui ressort des données en dollars (courants) fournies par le FMI. De 3897 dollars en 2021, le PIB par habitant devrait terminer l’année 2022 à 3816 dollars soit, un recul de -2,1%. Il s’établirait même à un niveau inférieur à celui dont il disposait il y a 15 ans : 3964 dollars en 2007. De fait, les données en dollars du FMI révèlent que le Tunisien est devenu depuis 2021, le citoyen le plus pauvre de la région Afrique du Nord.
Les statistiques de l’INS relatives à la « population active occupée » i.e les Tunisiens qui ont un emploi, sont sans appel. La Tunisie compte à la fin du troisième trimestre 2022, 3,398 millions de Tunisiens qui ont un emploi contre 3,487 millions à la fin de l’année dernière et davantage encore durant les années 2014 à 2020. La même source dévoile que l’économie tunisienne a perdu depuis la fin de l’année dernière, près de 88700 emplois et plus de 168 mille emplois depuis la fin de l’année pré-Covid 2019. Le taux d’emploi de la population tunisienne (Population occupée rapportée à la population en âge de travailler) s’établit au terme du troisième trimestre à son plus bas niveau depuis 2013 : 47,3% vs 48,0% à la fin de 2013. Seulement le chiffre relatif à la baisse cette année, du nombre de Tunisiens qui arrivent sur le marché de l’emploi (la population active à la fin du troisième trimestre s’établit selon l’INS, en baisse de plus de 148 mille depuis la fin de l’année dernière) est de nature à rendre compte de ce double mouvement.
Malgré une décrue en 2022, le chômage des jeunes âgés entre 15 et 24 ans, reste élevé. Comparé aux années pré-Covid, le taux de chômage de cette catégorie de la population s’établit en nette recrudescence : 37,8% à la fin du troisième trimestre 2022 contre 34,7% à la même date de l’année 2019 et 33,4% pour l’année 2018.
Le déficit d’investissement tant public que privé, qui perdure depuis près de deux décennies, s’est poursuivi en s’aggravant en 2022. Le taux d’investissement tel qu’estimé par le FMI, est encore loin d’avoir retrouvé son niveau de l’année pré-Covid 2019 : 15,9% vs 19,6%. À ce niveau, il est presque moitié moins important que celui du Maroc : 29,3%.
L’ampleur de l’aggravation du déficit d’investissement apparaît par ailleurs, à travers les déclarations d’investissement qui sont faites aux agences en charge de la promotion de l’investissement. Les investissements dans l’industrie & les activités de services sont en recul non-stop : Ils s’établissent à fin novembre 2022 à leur plus bas niveau depuis l’année 2008 : 2,2% du PIB après 2,5% à fin novembre 2021 et plus de 6,3% en moyenne 2008-2010. Le phénomène n’épargne ni l’investissement agricole ni l’investissement public. Ce dernier devrait accaparer selon la loi de finances rectificative 2022, 2,5% des dépenses totales de l’État contre 6,7% en 2021 et une moyenne 2010-2021 de 8,1%.
Avec l’instabilité politique, sociale et réglementaire qui s’est installée dans le pays depuis la « Révolution » en 2011, de nombreuses entreprises du secteur industriel ont disparu du paysage industriel tunisien. En un an, (entre septembre 2022 et septembre 2021) le tissu industriel s’est appauvri de 121 unités dont, 44 sont des entreprises industrielles « totalement exportatrices ». Le bilan est beaucoup plus lourd lorsque l’on prend comme référence l’année pré-Covid 2019 : fermeture de 433 sites industriels dont la moitié environ (212) sont des sites totalement exportateurs. Bien qu’elle frappe d’une manière particulièrement dure les industries du textile & de l’habillement (fermeture de 142 entreprises totalement exportatrices depuis 2019), cette hémorragie n’épargne aucune branche de l’industrie tunisienne.
C’est un déficit commercial historique que la Tunisie devrait connaître en 2022. Sur les onze premiers mois de l’année, le déficit commercial se monte à 23,3 MMDT et devrait franchir allégrement la barre des 25 MMDT à la fin de l’année contre 16,2 MMDT en 2021. La cause de cette envolée du déficit réside fondamentalement dans la flambée des prix mondiaux, particulièrement les prix de l’énergie et des produits alimentaires. L’indice (moyen sur les onze mois de l’année) de la Banque Mondiaux des prix des produits de base pour l’énergie s’établit en hausse de +64,7% par rapport à 2021 cependant que l’indice des produits d’alimentation ressort entre-temps en hausse de +19,0%. La dépréciation du dinar face au dollar n’a rien arrangé, renchérissant le prix des approvisionnements alimentaires et énergétiques à l’importation.
Le creusement inédit du déficit du commerce extérieur en 2022 est révélateur des maux internes dont souffre l’économie tunisienne. Les exportations ont évolué tout au long des onze mois de l’année, à un rythme annuel moyen nettement inférieur à celui des importations : +24,3% vs 33,4%. Un différentiel de croissance révélateur d’une compétitivité qui se dégrade et d’une activité productive qui peine à retrouver son rythme potentiel. Ainsi en est-il de la production pétrolière qui, à l’exception de l’année de pandémie, s’établit en 2022 à son plus bas niveau des cinq dernières années. Il en est de même de la production de phosphate qui n’a guère profité du doublement sur l’année du prix mondial du phosphate (+95,9%) : la production qui ressort à 2,84 millions de tonnes à fin septembre, ne devrait pas aller au-delà de 3,6 millions de tonnes à la fin de l’année ; un chiffre à mettre en regard des huit millions de tonnes que la Tunisie produisait en 2010.
Le bilan -provisoire- de l’année touristique 2022 révèle que le tourisme tunisien ne s’est toujours pas relevé du double choc causé par les attentats terroristes de 2015 et de la crise de la Covid-19. Apprécié à l’aune des recettes engrangées au terme des onze premiers mois de l’année, le tourisme a rapporté 1,20 milliards de dollars soit, bien moins que les 1,83 milliards de l’année pré-Covid 2019 ou que la moyenne de la décennie 2011-2021 : 1,41 milliards de dollars. Des recettes qui correspondent à près de la moitié de celles que le secteur générait avant la « Révolution » de 2011 : 2,36 milliards de dollars en moyenne 2008-2010. Apprécié à l’aune des autres indicateurs disponibles au terme de la haute saison (fin septembre), il apparaît que le taux de récupération des nuitées touristiques s’établit à 61,9% par rapport à l’année pré-Covid 2019 et à 64,4% par rapport à l’année d’avant les attentats terroristes du Bardo et de Sousse (année 2014). En effet, seulement 15,6 millions de nuitées ont été recensées contre 25,2 millions à la même date de l’année pré-Covid (2019) et 24,5 millions à fin septembre 2014. Malgré une performance nettement meilleure que celle des années pandémiques 2020-2021, le tourisme tunisien a souffert en 2022 un sous-investissement notoire sur fond d’absence de transformation du modèle touristique ; un modèle de plus en plus en décalage avec les réalités nouvelles du tourisme mondial.
Les envois de fonds de la diaspora tunisienne devraient augmenter en 2022 à un rythme nettement inférieur à celui des dernières années : +13,4% en glissement annuel vs +20,0% en moyenne des cinq dernières années (2017-2021) pour les transferts engrangés durant janvier à novembre et estimés en dinars. Une croissance quasi nulle lorsque les transferts sont estimés en dollars : +0,4% vs +14,8% et ce, malgré une dépréciation appréciable du dinar vis-à-vis du dollar qui a même atteint plus de 11,3% au cours de la deuxième moitié de l’année. Cette forte décélération des mouvements de fonds en dollars engendrés par la diaspora tunisienne contraste avec la croissance de 7,6% dévoilée par la Banque Mondiale des transferts (en dollars) vers le Moyen-Orient et Afrique du Nord. Elle résulte vraisemblablement de la recrudescence des transferts qui empruntent des voies qui échappent au recensement statistique. Des transferts qui cherchent à éviter les coûts exorbitants des frais d’envois d’argent via les circuits structurés. Ceux-ci s’établissent selon la Banque Mondiale au double de la cible fixée par les Objectifs de développement durable : 6% vs 3%.
L’inflation qui sévit en Tunisie depuis le début des années 2010, est passée à la vitesse supérieure en 2022. Le taux d’inflation qui s’est établi à 9,8% en novembre, devrait franchir le seuil des 10% à la fin de l’année soit, un rythme de hausse des prix près de deux fois supérieur au rythme annuel moyen des années 2010-2020 : 5,2%. Le retour de l’inflation a été d’autant plus remarqué que ce sont les prix des produits d’alimentation -l’inflation véritablement ressentie par le Tunisien- qui ont littéralement flambé en 2022 : +15,1% à fin novembre pour l’ensemble « Alimentation & boissons » et bien davantage pour les produits alimentaires libres : +17,9%. Un retour tonitruant aussi car il s’est développé sur fond de pénuries sporadiques de certains biens de consommation courante. Des pénuries qui, à leur tour, ont avivé la hausse des prix des « produits non libres » (subventionnés par l’État) : +6,2% en glissement annuel. En 2022, l’inflation tunisienne s’est envenimée par deux chocs. Le premier est d’origine externe et provient de l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur les prix mondiaux, particulièrement les prix de l’énergie et les produits alimentaires. Choc aggravé d’une part, par l’épisode de sécheresse qu’ont connu la plupart des pays de la zone euro au cours de l’été 2022 et, de l’autre, par les difficultés d’approvisionnement crées par la crise sanitaire et aggravés par la guerre. Le deuxième choc est domestique. Il résulte de l’impécuniosité de l’État pour faire face aux factures des carburants, des céréales et autres biens tels les médicaments que la Tunisie importe en quantités importantes pour subvenir à ses besoins. Une rareté aggravée par la perspective d’ajustement à la hausse des prix des produits subventionnés que le gouvernement s’est engagé à conduire pour endiguer le dérapage des comptes public et extérieur.
source: Ecoweek N°01-2023
Written by: Asma Mouaddeb