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« La catégorie des récupérateurs (barbecha) semble constituer le groupe le plus marginalisé socialement, et le plus exposé aux conséquences de la crise économique que connaît la Tunisie. Cette marginalité sociale est encore plus remarquable dans le cas des femmes, dont les rémunérations sont souvent dérisoires, généralement inférieures à celles des hommes », tel est le constat qui ressort d’une étude sur « L’économie circulaire : le recyclage des déchets plastiques dans l’agglomération sfaxienne (Tunisie) : étude du cas de la commune de Thyna ».
Cette l’étude vient d’être publiée par le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES), et réalisée par Mehdia Soudeni, professeure à l’université de Sfax.
Parmi les barbecha, « les femmes assument l’essentiel des activités de collecte et de recyclage des déchets plastiques, travaux difficiles auxquels s’ajoute un environnement familial fragile et vulnérable. En définitive, il est très rare que les barbecha, et en particulier les femmes, parviennent à sortir de cette situation de précarité ».
L’étude montre qu' »en bas de la hiérarchie des barbecha se trouvent celles et ceux qui transportent de gros sacs de déchets sur leur dos, pour une quantité maximale de 10 kilogrammes, soit le tiers et parfois même seulement le quart des quantités collectées par les hommes quand ils sont motorisés ou bien équipés ».
« Les femmes sont, aussi, contraintes par leurs engagements domestiques : dès lors, elles sont condamnées à gagner moins que les hommes, puisqu’elles travaillent moins en termes de nombre d’heures. Ainsi, elles gagnent 10 à 25 dinars par jour, alors que les hommes peuvent gagner 40 à 70 dinars par jour. L’accès aux moyens de transport traduit, également, des inégalités genres et économiques, puisque les collecteurs qui ont les revenus les plus faibles sont généralement les femmes ; or, plus l’on dispose d’un capital permettant d’acquérir un outil de transport, plus le revenu est important ».
La professeure à l’université de Sfax souligne que « les femmes demeurent le groupe le plus marginalisé dans le secteur du recyclage ; elles travaillent souvent dans les unités de recyclage ou à la collecte de déchets en tant que barbecha. En termes de niveau de vie, les femmes semblent davantage confrontées à des situations difficiles, comme la présence d’au moins une personne handicapée dans la famille, les cas de divorce, ou encore l’obligation de transporter, sur plusieurs kilomètres, les déchets collectés sur leur dos. Certaines sont moins défavorisées, notamment celles qui disposent d’une sorte de charrette de transport à main qu’elles poussent huit heures durant ».
« De plus, elles ne disposent d’aucune couverture sociale, et l’activité de récupération des déchets est leur seul moyen de subsistance, malgré des conditions de travail difficiles ».
« D’après les témoignages recueillis, les femmes barbecha sont victimes de plusieurs types de discrimination, dont voici quelques exemples : d’une part, elles exercent leur métier dans des conditions plus difficiles que celles des hommes ; de même, elles sont parfois empêchées de collecter les déchets dans des endroits accaparés par les hommes ; elles subissent, également, la stigmatisation des habitants des quartiers en particulier, et de la société en général. S’il arrive que certains compatissent à leurs conditions, ces femmes gardent un sentiment d’exclusion et de rejet de la part de la société dans son ensemble ».
« Je n’ai aucun moyen de transport pour les déchets que je collecte. Je suis contrainte de les mettre dans des sacs et de les transporter sur mon dos. Je collecte entre 14 et 20 kilos de déchets plastiques par jour pour les vendre à 8 ou 10 dinars. J’ai 4 enfants, mon conjoint est à la retraite et malade, il ne peut pas sortir de la maison. Je prends en charge les dépenses de la famille, mais les habitants m’aident, aussi, car ils sont conscients de notre situation difficile […]. Je suis reconnaissante envers les personnes qui ont de la compassion envers moi en tant que femme barbech, mais cela ne change pas le fait que je me sens toujours exclue de ma propre société. Je suis traitée différemment en raison de ma condition », témoigne une femme barbecha.
Il faut, aussi, prendre en compte « les ouvrières des unités de transformation des déchets plastiques. De plus en plus confrontées à des discriminations de genre, les femmes exerçant dans la récupération et la transformation des déchets plastiques sont pleinement dépendantes des autres acteurs de la filière, qui imposent leurs conditions et n’hésitent pas à profiter de leur position de supériorité hiérarchique pour abuser de ces femmes : c’est notamment le cas des grossistes (de collecte des déchets plastiques) ou des chefs d’entreprises qui les emploient. Les femmes sont contraintes d’obéir à ces conditions pour gagner leur vie et subsister, a fortiori pour celles qui ont des familles nombreuses », souligne l’étude.
Dans les usines, « les femmes subissent insultes et maltraitance de la part de leurs employeurs. Or, la majorité des ateliers et usines informelles de recyclage du plastique dans la commune de Thyna n’emploient que des femmes. Elles sont par conséquent, dans des situations de vulnérabilité prononcée à toutes les étapes de la collecte et du recyclage des déchets plastiques. Cette surreprésentation des femmes dans ce secteur d’activité est principalement liée à la modicité de leur rémunération, qui représente seulement 336 dinars par mois, tandis que les hommes reçoivent un salaire mensuel de 500 dinars ».
« Les patrons profitent de la disponibilité de cette main-d’œuvre féminine peu coûteuse, qui résiste aux mauvaises conditions de travail et qui accepte un salaire faible. De même, dans les ateliers et lieux informels de traitement des déchets, l’on attribue aux femmes les tâches les plus épuisantes comme la collecte, le tri, le broyage et le nettoyage des déchets. À l’inverse, les hommes, notamment ceux qui exercent dans le secteur formel, sont principalement impliqués dans l’achat et la vente des matériaux recyclables, pour un salaire supérieur à celui des femmes ; de plus, une majorité d’hommes occupe le sommet de la hiérarchie de cette filière. De telles conditions de travail confinent les femmes à un rang inférieur, et ne leur permettent pas de bénéficier d’une promotion sociale », conclut l’étude.
TAP
Written by: Meher Kacem